14 janvier 2018

Numérique et situations de handicap : les enjeux de l’accessibilité


Détails de l'événement


La problématique du handicap questionne de manière frontale ce rapport au numérique, dans toutes ses dimensions. En 2001, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) propose dans la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé[1], une approche multidimensionnelle du handicap, dépassant une entrée par les seules déficiences : il s’agit de prendre en compte de façon globale la situation de la personne, en lien avec des facteurs environnementaux et personnels ou encore avec le contexte d’activités dans lequel elle évolue. Dès lors, la figure de la personne en situation de handicap évolue : elle renvoie aussi bien à des situations pérennes que ponctuelles, ainsi qu’à des vulnérabilités ou fragilités pouvant s’installer avec l’âge. Au plan des écosystèmes numériques, cette perception de la personne en situation de handicap permet de penser autrement conception, dispositifs et usages, en posant la question de  la restriction de participation. Il s’agit de proposer des systèmes et interfaces techniques adaptés aux différentes situations individuelles et à la variété des contextes d’usages. Dans cette perspective, la question des normes devient également une question clef. Au niveau international, le W3C (World Wide Web Consortium) propose le WCAG[2] en tant que référentiel international d’accessibilité numérique, soit les modalités techniques permettant de diffuser des contenus selon des normes satisfaisant aux critères d’accessibilité.

D’une façon générale, on peut définir l’accessibilité comme consistant « à fournir un accès égal aux environnements physiques et numériques, en offrant des lieux et des ressources sûrs, sains, et adaptés à la diversité des personnes susceptibles d’en faire usage » (Folcher et Lompré, 2012 : 89-90). Sur le plan de l’accessibilité du web, les propos de Tim Berners-Lee rappellent que le « pouvoir du Web est dans son universalité » et que « le Web est fondamentalement conçu pour fonctionner pour toutes les personnes, quel que soit leur matériel, leur logiciel, leur langue, leur culture, leur emplacement ou leur capacité physique ou mentale »[3]. On voit à quel point la question de l’accessibilité numérique, dépassant des aspects strictement techniques ou fonctionnels, s’inscrit dans une vision, voire un idéal, d’égalité entre les humains, transcendant la variété (et l’inégalité) -physique, cognitive, géographique, environnementale, etc.- de leurs situations.

Ces quelques points de repère permettent de situer le contexte actuel de l’accessibilité numérique. Un appareil réglementaire et normatif a donc été instauré depuis plus d’une dizaine d’années et de nombreuses initiatives en matière d’accompagnement et de sensibilisation ont été déployées, notamment au plan associatif. Néanmoins, les constats restent mitigés sur de nombreux plans. Ainsi, selon une enquête menée en 2014 par l’association BrailleNet, seuls 4% des sites web publics français répondraient aux normes d’accessibilité[4]… Autre exemple, bien que l’argument de l’accessibilité numérique comme facteur d’amélioration des interfaces web pour tous soit connu depuis longtemps (Adam et Kreps, 2009), de nombreux freins, préjugés et méconnaissances demeurent, notamment du côté des concepteurs (Lespinet-Najib et al., 2015). Si ces exemples s’appuient principalement sur la situation en France, ils ont bien entendu des résonnances dans d’autres contextes, où ont émergé des pratiques et initiatives similaires.

La problématique de l’accessibilité numérique et des situations de handicap continue donc de soulever de multiples questions, mobilisant certes des dimensions techniques ou normatives, mais interrogeant aussi les représentations sociales à l’œuvre, ou encore, nos rapports, en tant que concepteurs de systèmes, médiateurs de contenus ou usagers, aux dispositifs sociotechniques et aux processus info-communicationnels qui les accompagnent. Car l’approche par l’accessibilité numérique, le handicap et le principe d’égalité suppose un équilibre entre inclusion sociale via le numérique, liberté et singularité, équilibre qui n’est pas exempt de paradoxes et de nouvelles formes d’injonction.

Ce numéro de tic&société cherche donc à faire un état des lieux multidimensionnels et à mettre en perspective critique le rapport accessibilité/société/numérique, dans toute sa complexité et selon différents contextes et approches. Seront notamment abordés les questionnements suivants :

–       Quels sont les enjeux de l’accessibilité numérique pour l’insertion sociale et professionnelle ?

–       Quel bilan est-il possible de tirer aujourd’hui sur les réalités sociales, techniques, normatives ou éthiques de l’accessibilité numérique ?

–       Quel rôle est joué par la gouvernance, au niveau des instances nationales et internationales ?

–       En quoi l’articulation accès/accessibilité au plan du numérique et du web peut-elle être analysée comme source d’opportunités non dénuée d’ambivalences en matière d’inclusion et d’égalité ?

–       En quoi l’entrée par la restriction de participation et les contextes d’usages modifie-t-elle la perception et l’analyse de l’accessibilité numérique ?

–       Comment l’accessibilité numérique participe-t-elle ou devrait-elle participer à de nouvelles formes de médiation (de savoirs, de contenus, de documents) ?

–       Quelles modalités de sensibilisation et de formation existent ou devraient se développer ? En particulier, quelles seraient les contributions possibles de la recherche et de l’enseignement supérieur à la formation des futurs acteurs du numérique, et selon quelles modalités d’évaluation?

Les études comparatives et sectorielles seront notamment appréciées autour de ces questionnements.

Les contributions doivent être soumises en français. Les textes doivent comprendre entre 40 000 et 50 000 caractères espaces compris et suivre le modèle APA pour la présentation bibliographique, tel que présenté par l’Université de Montréal : http://guides.bib.umontreal.ca/disciplines/20-Citer-selon-les-normes-de-l-APA (voir notamment les rubriques « Dans le texte » et « bibliographie »). Les auteurs sont invités à respecter les consignes de la revue concernant la mise en forme du texte (consignes disponibles sur le site de la revue, à la page http://ticetsociete.revues.org/90).

Les manuscrits feront l’objet de deux évaluations selon la procédure d’évaluation à l’aveugle.

La date-limite de soumission des articles (voir consignes aux auteurs http://ticetsociete.revues.org/) est fixée au 8 janvier 2018.

Les propositions d’articles sont à envoyer à Nathalie Pinède () qui coordonne ce numéro thématique.

Nathalie Pinède est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux Montaigne et chercheure au laboratoire MICA (Médiation, Information, Communication et Arts).

Il est possible par ailleurs de proposer en tout temps des textes hors thème. Ceux-ci seront également évalués selon la procédure d’évaluation à l’aveugle et publiés dans la rubrique « Varia » ou conservés pour un prochain numéro thématique. Merci, dans ce cas, d’envoyer les textes à l’adresse suivante : .

Repères bibliographiques

« Handicap et communication » (2013), MEI, n° 36, sous la direction de B. Darras et D. Valente.

Adam, A. & Kreps, D. (2009). Disability and discrourses of Web accessibility. Information, Communication & Society, vol. 12(7), p. 1041-1058.

Balin, P. & Gossart, C. (2015). L’accessibilité des TIC par les personnes handicapées : état des lieux du contexte actuel. Terminal, 116.

Altinier, A. (2012). Accessibilité web: Normes et bonnes pratiques pour des sites plus accessibles. Paris, Editions Eyrolles.

Boullier, D. (2016). Sociologie du numérique. Paris, Armand Colin.

Choi, S., (2005). Universal Design : A Practical Tool for a Diverse Future. International Journal of the Diversity, N° 6, p. 116–124.

Doueihi, M. (2013). Qu’est-ce que le numérique ? Paris, PUF.

Folcher, V., & Lompré, N. (2012). Accessibilité pour et dans l’usage: concevoir des situations d’activité adaptées à tous et à chacun. Le travail humain75(1), 89-120.

Lespinet-Najib, V., Pinède, N., Belio, C., Demontoux, F., & Liquète, V. (2015). L’accessibilité Web, en 2013, en France: Enquête nationale sur les pratiques et les usages des professionnels du Web. Terminal, (116).

Perriault, J. & Vaguer, C. (2010). La norme numérique. Savoir en ligne et Internet. Paris, CNRS éditions.

Zaffran, J. (2015). Accessibilité et handicap. PUG.

[1] CIF : disponible sur http://apps.who.int/iris/handle/10665/42418. Voir aussi en France la loi 2005-102 du 11 février 2005 sur « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Disponible sur le site Legifrance à l’adresse : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000809647&categorieLien=id

[2] Web Content Accessibility Guidelines  (WCAG) – Disponible sur https://www.w3.org/WAI/intro/wcag.php

[3] Traduction de « The power of the Web is in its universality » et « the Web is fundamentally designed to work for all people, whatever their hardware, software, language, culture, location, or physical or mental ability ». Disponible sur https://www.w3.org/standards/webdesign/accessibility

[4] http://www.braillenet.org/documents/communique-braillenet-2014-03-25.pdf