16 février 2018

Appel à contribution


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Appel à contribution

La Gamification de la société
Vers le régime du jeu

6-7 décembre 2018
Paris – Maison de la recherche de l’Université de la Sorbonne nouvelle

La Gamification – ou la transposition des éléments de la structure de jeu dans des contextes
autres que de jeu (Deterding et al., 2011) – prend principalement source dans deux courants
distincts de recherche : les théories sur le jeu, issues des sciences humaines, des sciences sociales
et des humanités et les recherches appliquées en Design, largement alimentées par le jeu vidéo,
posant la structure de jeu comme opératoire en termes d’engagement, progrès individuel et
collectif, et de créativité. Si le premier courant alimente les réflexions du second, les SHS
s’emparent, critiquent et analysent bien trop peu encore les pratiques liées à la gamification. Or,
ses champs applicatifs sont multiples et tendent à aller croissant : santé, éducation, travail,
médias, citoyenneté, relations affectives, auto-quantification de l’individu (self-quantified) sont
ainsi concernés par des pratiques gamifiées. En outre, les recherches conduites sur la
gamification portent le plus souvent sur des objets : serious games, logiciels de simulation en
santé, dans les armées, innovations pédagogiques, jeux en entreprise, etc. et n’abordent pas la
gamification en tant que logique, qu’elle soit « empowerment » ou « nouvel esprit du
capitalisme »…
Le colloque consacré à « La gamification de la société » propose de réunir les chercheurs
travaillant sur la gamification dans différents domaines : santé, éducation, citoyenneté, travail,
relations sociales, pratiques de scoring appliquées aux individus (corps, sociabilité…) et à leurs
pratiques (on pensera notamment aux pratiques numériques), ces domaines ne se voulant pas
exhaustifs.
L’enjeu consistera à éviter les pièges de la segmentation en questionnant le sens social de la
gamification et de la banalisation de mises en formes de jeu pour des pratiques non ludiques. Le
jeu en tant que « modèle » (structure) et « référent » (chargé de valeur sociale) mérite d’être
interrogé au-delà de ses objets d’applications. De ce fait les études de cas trouveront leur
intégration au sein d’axes problématisés en veillant à les nouer aux recherches sur le jeu issues
des SHS et humanités.
Problématique :
La gamification est fréquemment définie en tant qu’ « usage d’éléments de gamedesign dans des
contextes autres que de jeu » (Deterding et al., 2011 – traduction libre). La gamification trouve
son origine dans la différence posée par la langue anglo-saxonne entre play – qui correspond à
l’« attitude ludique » du joueur (Henriot, 1989)- et game, soit le jeu comme structure, pouvant de
ce fait modéliser une activité. Avec le développement des pratiques et industries de la
gamification, le jeu des individus – play – pourrait être lu comme pouvant être siais par le game
au travers de l’action d’acteurs institutionnels et organisationnels visant à enserrer des activités
autres que de jeu dans une structure de jeu. Ce colloque se propose d’analyser, à la lueur de
l’histoire mais aussi d’approches transdisciplinaires, ce mouvement d’accaparement. Notre projet
invite à questionner ce que les activités structurées par le game font au jeu mais aussi et surtout
en quoi les jeux transforment ces activités liées au travail, à la santé, à la citoyenneté, etc.
Cinq axes sont donc proposés à la réflexion collective : une perspective historique, le
questionnement du concept, la dimension économique, la question de la « subjectivité gamifiée »
et enfin les rhétoriques sous-jacentes à la gamification.
– Approches historiques de la gamification
Si l’on entend la notion de gamification dans son acception générale de transposition des
éléments de la structure de jeu dans des configurations autres que ludiques, force est de constater
que le regard historique a beaucoup à offrir aux recherches en la matière. De la période moderne
(Belmas, 2006), qui regorge d’exemples à la fois dans le champ éducatif et dans les mondes du
travail, au 19e siècle qui offre de multiples occasions de rendre au processus de gamification son
épaisseur sociohistorique pour arriver à une multiplication des processus tout au long du 20e
siècle.
Cet axe du colloque privilégiera donc des communications rendant compte de la genèse sociale
de dispositifs et de pratiques passés, de façon à en apprendre plus sur les rapports ambigus entre
jeu et hors-jeu, en vue de pouvoir se prémunir, dans les recherches actuelles, contre une
tendance anachronique qui verrait dans la gamification une « invention » récente. De la sorte, la
spécificité des processus actuels (développement technologique, expansion dans de nombreux
domaines de la vie quotidienne, etc.) pourra être précisée.
– Les mécaniques du jeu
La gamification, en tant que structure de jeu servant de modèle à d’autres activités, a pu être
(d)énoncée comme entreprise de « pointification » (Bogost, 2014 ; Robertson, 2010). Il serait
cependant réducteur de considérer les structures de jeu saisies par la gamification sous l’angle de
seuls points, badges et autres éléments indicateurs de niveau et de progression. D’autant que,
même si les recherches actuelles portent largement sur des pratiques digitales s’inspirant du
gamedesign, les acteurs – industriels et designers – de la gamification travaillent à la mise en
place de formes hybrides, nouant digital et non digital. Sur le plan de la recherche, les grands
textes en SHS sur la fiction (Schaeffer, 1999), le cadre (Bateson, 1977 ; Goffman, 1991), le rôle
(Linton, 1936 ; Mead, 1934), le rite (Schechner & Schuman, 1976 ; Turner, 1982) mais aussi les
recherches plus récentes sur ces concepts outre celles sur le jeu (on pensera ici en particulier à
Winnicott, 1971, Henriot, 1989 ou encore Brougère, 2005 et Caïra, 2007 et 2011) et sur le jeu
vidéo (Triclot, 2011), ouvrent de nombreuses pistes pour penser en quoi consistent les
mécaniques du jeu qui fondent la gamification. De ce fait ces théories et recherches sont
porteuses de concepts et d’outils permettant d’approcher de manière moins « techniciste » les
manifestations et pratiques de la gamification. Elles permettent de dépasser les études endossant
une seule lecture fonctionnaliste de ces dispositifs, axées très souvent sur le questionnement de
leur « efficience » et invitent à interroger les dimensions sociales, culturelles, éthiques,
politiques qui y sont, littéralement, en jeu. Elles invitent également à interroger la place de ceux
qui sont conduits ou invités à jouer à de telles productions. Sont-ils une mécanique de plus au
jeu (pas de jeu sans joueur) ? Des espaces de réappropriation, d’invention, de sélection leur sontils
consentis ?
– Economie de la connaissance, économie de l’attention
« L’économie fondée sur la connaissance correspond essentiellement au secteur d’activités de
production et de service fondées sur des activités intensives en connaissance. Celles-ci sont
habituellement repérées en combinant des indicateurs portant sur la production et la gestion des
savoirs, le taux d’emploi des travailleurs diplômés et l’intensité de l’utilisation des nouvelles
technologies de l’information » (Foray, 2009).
La complexification croissante des processus de création des connaissances favoriserait une
gamification qui pour certains serait pour ainsi dire consubstantielle à l’économie de la
connaissance. Au coeur des nouveaux mécanismes d’apprentissage, la manière dont l’attention
peut être mobilisée conduirait mécaniquement à gamifier les infrastructures de formation, les
systèmes hiérarchiques et les organisations du travail. Dans quel but ? Quel en est le résultat ?
Cet axe du colloque privilégiera donc les propositions de communication déployant les liens,
tensions et contradictions éventuelles entre la gamification et les formes les plus contemporaines
de cette économie de la connaissance. Quel(s) rapport(s) au savoir ou à l’information la
gamification favorise-t-elle ? De quels bouleversements une économie de l’attention fondée en
raison du jeu vidéo est-elle porteuse ? Les formes plus traditionnelles sont-elles véritablement
amenées à être transformées par la gamification devenant le ferment des infrastructures de la
connaissance ? Compétition, performance et bien-être fusionneraient-ils dans une économie dont
les sciences du neuro et des datas nous permettraient de rendre compte d’un nouvel individu ?
– La subjectivité gamifiée
La gamification de la société peut-elle se penser sans être mise en rapport avec les groupes
sociaux et les individus qui en conçoivent les dispositifs, les mettent en oeuvre ou les critiquent ?
Cet axe propose d’interroger ce que nous disent des supports techniques gamifiés visant à
mesurer en temps réel des constantes physiques durant l’effort, en matière de souci de soi ou de
recherche d’amélioration des performances. Se résument-ils à la simple traduction technologique
du suivi d’une santé compatible avec les nécessités inhérentes aux relations sociales (au travail,
dans les loisirs, etc.) ? Et que penser des outils de scoring et de self-tracking censés « capturer »
l’intensité et la qualité de l’insertion d’un individu dans un réseau professionnel ou amical ?
Constituent-ils la mise en forme numérique de pratiques anciennes moins visibles, mais
néanmoins agissantes, en matière de capital social et symbolique ? Peut-on dire que ces
différentes manières de compter, (ac-)cumuler et (ap-)paraître aux yeux d’autrui entretiennent
des rapports avec la transformation des subjectivités que certains auteurs perçoivent
actuellement au coeur du programme néolibéral, à la suite de Michel Foucault (2004) ? En ceci,
il serait possible de revenir sur la question de la gestion du soi propre à un individu devenu
« projet » (Pharabod, Nikolski, Granjon, 2013 ; Boltanski, Chiapello, 1999). Outils et pratiques
conduisent aussi à questionner quelles « valeurs » sont nouées à ces quantifications et mesures :
valeur économique, performance, engagement…
Enfin, quels sont les regards posés sur ces technologies ? Existe-t-il des détournements critiques
de ces outils qui échapperaient aux objectifs fixés par leurs concepteurs ?
– Discours et rhétoriques de la gamification
Brian Sutton-Smith (1997) et à sa suite Sebastian Deterding (2014), se sont penchés sur les
principales « rhétoriques » liées au jeu puis à la gamification. Le jeu et ses usages trouvent leur
argument dans les théories du développement (humain et animal, d’ailleurs), les traditions de
pensée qui le lient à la chance et au destin, les enjeux de compétition et d’affrontement (prisme
de lecture du pouvoir), la célébration collective constitutive de rituels identitaires, son potentiel
de créativité, sa capacité à épanouir les individus et sa légèreté (reprise également par Gilles
Brougère – 2005 – sous le terme de « frivolité »). Le jeu, dans ces arguments ou « rhétoriques »
(pour reprendre la terminologie de ces auteurs) advient donc le plus souvent comme un principe
dynamique, producteur de connaissances, compétences, bien-être, lien pour le groupe.
Cet axe propose de considérer les discours appuyant les pratiques gamifiées et les logiques
conduisant à leur construction et leur maintien. Il invite à identifier d’autres logiques liées à la
gamification et à identifier, selon les domaines d’application de la gamification, les logiques
dominantes et les logiques secondes. Il invite aussi à questionner les arguments avancés dans la
mise en place de dispositifs gamifiés par une mise à l’épreuve avec les cas étudiés.
Par conséquent, ce colloque à vocation transdisciplinaire propose de poser un regard transversal
sur les secteurs et objets étudiés en faisant dialoguer les recherches et méthodes analytiques mais
aussi de réfléchir, de manière plus globale au sens politique et éthique d’une gamification de la
société.

Les propositions de communication d’un volume de 5.000 signes sont à adresser avant le
vendredi 6 avril 2018 à et à
L’évaluation en double aveugle donnera lieu à réponse mi juillet 2018.

Comité d’organisation :
Yanita Andonova (LabSic – Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité)
Jean Frances (GSPR – EHESS)
Stéphane Le Lay (LPTA – CNAM Paris 5)
Pierre Lénel (Lise – CNAM)
Emmanuelle Savignac (Cerlis – Université de la Sorbonne nouvelle – SEF)
Comité scientifique :
– Julian ALVAREZ (De Visu – Université de Valenciennes – SIC)
– Yanita ANDONOVA (Lab Sic – Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité)
– Vincent BERRY (Experice – Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité)
– Gilles BROUGERE (Experice – Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité)
– Maude BONENFANT, (directrice du groupe de recherche Homo Ludens – UQAM)
– Olivier CAÏRA (Centre Pierre Naville – Université d’Evry)
– Laurence CORROY (Cerlis – Université de la Sorbonne nouvelle)
– Eric DAGIRAL (Cerlis – Université Paris Descartes)
– Marie-Anne DUJARIER (LCSP – Université Paris Diderot)
– Jean FRANCES (GSPR – EHESS)
– Stéphane LE LAY (CNAM-Paris 5)
– Pierre LENEL (LISE – CNAM)
– Anne MONJARET (IAAC-CNRS – EHESS)
– Emmanuelle SAVIGNAC (Cerlis – Université de la Sorbonne nouvelle)
– Aude SEURRAT (LabSIC – Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité)
– Gabrielle TREPANIER-JOBIN (co-directrice du groupe de recherche Homo Ludens –UQAM)
– Thierry WENDLING (IAAC-CNRS – EHESS)
– Vinciane ZABBAN (Experice – Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité)
– Nathalie ZACCAI-REYNERS (FRS-FNRS – Université libre de Bruxelles)

Éléments bibliographiques
Bateson, G., 1972. Steps to an Ecology of Mind: Collected Essays in Anthropology,
Psychiatry, Evolution, and Epistemology. Chicago, University Of Chicago Press, 1972.
Belmas E., 2006, Jouer autrefois. Essai sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIIe
siècle), Seyssel, Champ Vallon.
Bogost, I., “Why gamification is bullshit” in Walz, S.P., Deterding, S. (eds), The Gameful
World, Cambridge (Mass.), The MIT Press, pp. 65–80, 2014.
Boltanski L., Chiapello E., 1999, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.
Brougère G., 2005, Jouer, Apprendre, Paris, Economica.
Caïra, O., 2007, Jeux de rôles: les forges de la fiction, Paris, CNRS Editions.
Caïra, O., 2011. Définir la fiction : du roman au jeu d’échecs, Paris, Editions de l’EHESS.
Deterding S., Sicart M., Nacke L., O’Hara K., Dixon D., 2011, “Gamification: Using gamedesign
elements in non-gaming contexts”, CHI ’11 Extended Abstracts on Human Factors in
Computing Systems, New York, ACM Press : 2425-2428. Version française accessible en
ligne sur le site de Sciencesdujeu.org. http://journals.openedition.org/sdj/287
Deterding, S., “The ambiguity of games: histories and discourses of a gameful world”, in
Walz, S. P., Deterding, S. (eds), The Gameful World, Cambridge (Mass.), The MIT Press,
pp. 23–64, 2014.
Foray, D., 2009. L’économie de la connaissance, Paris, La Découverte.
Goffman, E., 1974. Frame Analysis: An Essay on the Organization of Experience. Cambridge
(Mass.), Harvard University Press.
Henriot, J., 1989. Sous couleur de jouer. La métaphore ludique. Paris, José Corti, 1989.
Linton, R., 1936. The study of man. New York, Appleton-Century-Crofts.
Mead, G. H., 1934. Mind, Self and Society, Chicago, University of Chicago Press.
Pharabod, A. S., Nikolski, V., & Granjon, F., 2013. « La mise en chiffres de soi ». Réseaux, (1), 97-129.
Schaeffer, J. M., 1999. Pourquoi la fiction. Paris, Seuil.
Schechner, R., Schuman, M. (Eds.), 1976. Ritual, play, and performance: Readings in the
social sciences/theatre, New York, Seabury Press.
Robertson, M., 2010. “Can’t play, won’t play”, Hide & Seek 6.
Sutton-Smith, B., 1997. The Ambiguity of Play, Cambridge (Mass.), Harvard University Press.
TriclotM., 2011, Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zones.
Turner, V. W., 1982. From ritual to theatre: the human seriousness of play, New York, Paj Publications.
Winnicott D. W., 1971, Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard